Méditation en Orient par Hans Waldenfels

Publié le par Jahman

En quête de maîtres

Primat de la pratique de l’exercice qu’est la méditation (Cf. saint Ignace de Loyola). Importance de la méditation orientale : maîtres spirituels et initiateurs.

La primauté de la pratique

Beaucoup de réalités de la vie humaine ne peuvent s’appréhender ni par la théorie (pure réflexion) ni par le discours (expression vernale). Il existe des réalités que l’homme ne peut atteindre ou expérimenter qu’en se laissant initier à une manière neuve et originale de savourer (sapere, gustare).

Le satori est l’illumination du bouddhisme zen japonais ; le kensho est la vision essentielle.

Nouveau regard, expérience, du fondement commun à tout et à tous. Il s’agit de faire irruption dans ce qui constitue l’assise, le « fond » universel.

La pratique de la méditation permet d’atteindre le fondement commun, en même temps qu’elle nous ramène au caractère concret de la vie et du monde. Il faut distinguer les expériences mystiques de méditation et celles qui proviennent de l’usage de la drogue. Il ne faut pas réduire la méditation à un simple procédé ou à une pure méthode.

Les composantes de la pratique de la méditation

La méditation orientale réalise un véritable entraînement de l’homme parce qu’elle s’adresse à la réalité humaine comme telle (dans sa totalité). Mais l’homme est d’abord un corps qui exprime en permanence la réalité humaine. Il nous faut toujours passer du niveau de connaissance « l’homme a un corps » au niveau de conscience « l’homme est un corps ». La méditation façonne l’homme tout entier, elle le renouvelle et le transforme.

Le corps comme symbole de l’homme tout entier

Le Bouddha en position du Lotus, solidement assis à terre, les jambes croisées, constitue le modèle de l’homme en méditation. La position assise procure le repos. Etre assis à terre, c’est être relié au sol dont je vis, c’est être uni à la nature. Croiser les jambes en position du Lotus, c’est instaurer en l’homme un nouveau centre de gravité (hara, abdomen ou rechem, viscera, splanchna, le diaphragme et les entrailles), un nouveau point d’équilibre.

Après la méditation en position assise, suit un temps de réflexion lors de la marche. Si la position assise est l’expression d’un recueillement plus intense, il faut pratiquer la méditation où que l’on se trouve et quoi que l’on fasse.

 Inspirer et expirer le monde

Maîtrise et régulation de la respiration : base d’un total épanouissement. Le rythme de la respiration est rarement uniforme ; le plus souvent, la respiration est superficielle et trop haletante.

Respiration abdominale : inspirer calmement, bloquer la respiration quelques instants, puis se remettre à expirer lentement. La respiration doit pénétrer tout le corps et le vivifier.

La respiration établie une communication spécifique entre nous-mêmes et le monde qui nous environne. Nous « inspirons » le monde, nous entrons en partage avec lui, nous nous identifions à lui. La respiration nous relie aux esprits (pneuma) qui doivent être discernés. Sans inspiration pas d’expiration. Priorité de l’inspiration, qui est première. L’être reçu comme un don prime sur ce que l’on peut offrir ou donner.

Passivité et activité se trouvent indissolublement unies au plus profond de l’homme. L’action de l’homme jaillit d’une impulsion, d’un accueil, d’une inspiration.

  L’homme au point de rencontre de l’étendue et de la profondeur

W. Johnston, Le lieu de l’apaisement

Deux modalités dans la pensée : horizontale ou discursive et verticale ou intuitive. Avec l’époque moderne, on est passé d’une pensée cosmocentrique à une pensée anthropocentrique. La quête du sens est passée des hauteurs extérieures aux profondeurs intérieures.

C’est dans un retour au propre moi que sera de nouveau rendue possible une métanoïa, un « retournement » de la pensée, une pensée nouvelle, et donc aussi une extase, un « appel à se laisser saisir ».

Karl Rahner : le regard doit effleurer la forme pour se diriger vers l’infini.

  Le dilemme psychologique

La méditation conduit peu à peu à des profondeurs toujours plus grandes. Pratiquer la méditation c’est s’engager dans un processus évolutif. La méditation atteint la zone profonde de la psyché humaine, la part inconsciente de la vie. L’inconscient est une force à la fois créatrice et destructrice. Il en va de même pour l’expérience de la drogue qui permet l’exploration de l’inconscient, la « dilatation de la conscience ».

Le processus de détachement commence quand des distractions s’introduisent dans la méditation. Le devoir le plus important est alors de faire grandir et maintenir ce détachement et cette liberté (indifférence).

Le vide – le silence – la disponibilité

La méditation sans objet entend dépasser et assumer les distances entre le sujet et l’objet (« je suis toi »). Percevoir la puissance du mystère qui se cache en toute chose. La foi c’est trouver la plénitude dans un « Tout-Autre ». Chaque être et tous les êtres demeurent en situation de relation réciproque.

De nouveau l’orthodoxie et l’orthopraxie

La méditation asiatique met l’orthopraxie au premier plan. L’orthodoxie est l’idée juste, la foi droite. L’orthodoxie divise, elle prononce des exclusions.

Dans la méditation asiatique, l’orthodoxie est une réalité inclusive. La méditation orientale cherche le détachement dans une négation radicale et pas seulement conceptuelle. Cette tradition se réclame du philosophe indien Nagarjuna. Le détachement radical (dépassement et transformation) aboutit au « néant absolu », c’est-à-dire à la vacuité. Quand le détachement se réalise de manière aussi radicale, l’orthodoxie ne peut plus servir de point de référence. C’est au niveau de la praxis que se situe alors le critère.

La catégorie fondamentale du zen c’est la relation. Le détachement est aussi un engagement existentiel.

 La « pureté du cœur » et l’expérience de la lumière

La méditation est un itinéraire pour s’identifier à Bouddha. On vise donc l’illumination.

Dieu se communique librement à celui qui sait attendre le cœur sincère. Processus de rencontre : à l’étape des commencements, l’engagement actif de l’homme intervient avec plus de vigueur, mais plus il avance et plus il s’efface.

Dialectique de l’engagement et de la disponibilité, de l’activité et de la passivité. Les deux éléments sont toujours étroitement liés (chaque action humaine est imprégnée par la grâce).

Il y a trois degrés : la purification, l’illumination et l’union.

Il y a une croissance dans l’illumination. Le processus de purification est requis avant de parvenir à l’illumination : il consiste dans le détachement, le renoncement, la libération, l’indifférence, l’impassibilité.

Le « véritable soi » et le mystère

Le concept introduit au mystère.

Le « véritable soi » de l’homme demande qu’on aille jusqu’à la perte de la « personnalité subjective », c’est-à-dire de l’autoconsistance substantielle du sujet, ou encore de l’en-soi autonome. Alors que le moi, la « personnalité substantielle » s’affirme face à d’autres sujets et objets (voire contre), le « véritable soi » est compris de façon relationnelle, en rapport avec. Mettre l’accent sur le « véritable soi », c’est vouloir libérer l’homme pour lui permettre de s’offrir à la communication primordiale de tous avec tous et avec tout. Cela signifie donc : se tourner vers et s’ouvrir, se dessaisir du moi limité et limitant, pour se donner à tous et à tout. C’est l’ex-tase au sens étymologique.

La réalisation du « véritable soi » se produit dans le mystère et s’y achève.

Lorsque l’homme permet au mystère d’être mystère, lorsque la négation radicale est négation totalement libératrice et en même temps ouverte à tout, il est alors possible que se réalise la grandiose communication.

Le mystère et le dilemme chrétien

Attitude d’attente et de silence respectueux face au grand mystère. Il s’agit, à propos du Bouddha ou du néant, d’écarter tout débat théorique ou spéculatif, toute interprétation nécessairement fallacieuse. C’est au cœur de ce que la vacuité n’est pas qu’apparaît l’éclat de l’Admirable (l’illumination). La vue mais surtout l’ouïe sont les deux sens capables de faire accéder l’homme à la pleine réalité. L’ouïe concerne le langage. Or, toute chose parle. Il faut donc s’exercer à écouter tout ce qui parle pour voir le rapport entre le néant / vacuité et la parole. L’homme est un corps mais il est aussi parole. L’homme doit faire preuve d’une constante metanoïa, il doit se montrer disponible à changer sa pensée, à se libérer, à se laisser conduire, à se livrer à l’abandon.

Un amour qui se donne est ex-tatique et ex-centré ; il réalise le non-moi et le non-soi. L’unité inclut toujours la communauté. Dans l’acte d’anéantissement, place libre est faite pour une nouvelle communication.

 

L’avenir de la mystique et la mystique de l’avenir

La véritable méditation s’accomplit entre l’ascétique et la mystique. La méditation se réalise lorsque l’homme se rend disponible, se laisse prendre, saisir et conduire par le mystère qui le porte et l’accueille. « Les phénomènes d’abandon de soi, de simplicité, de calme, de silence, de vide, de renoncement absolu à soi-même, peuvent constituer les modalités par lesquelles se réalise et s’accueille l’expérience de la communication silencieuse et ineffable que Dieu fait de Lui-même. Et ce, dans une liberté radicale, unifiant l’homme totalement » (Karl Rahner in L’homme comme mystère de K.P. Fischer).

La mystique vise un domaine où il n’y a plus d’objet. Elle décrit l’homme comme un phénomène, un être ex-tatique. La mystique signifie toujours une attitude qui prend ses distances avec le moi, qui se rend disponible et ne dispose plus de soi et qui devient ainsi une expérience de liberté.

« Le spirituel de demain » sera un mystique, ou bien alors il n’y aura plus de spirituels du tout. Lorsque l’homme parvient à s’abandonner radicalement, il n’est plus le maître ; et néanmoins il trouve son véritable soi en se perdant lui-même.

Vivre de manière extatique c’est se laisser saisir par le fondement universel qui nous porte et qui nous appelle à vivre « sans miser sur notre propre fond ». Le vrai mystique, à la différence du quiétiste, est un homme d’action tourné vers le monde.

Chez les bouddhistes, on repère une prédominance de l’illumination, et chez les chrétiens une prédominance de l’engagement d’amour.

Une illumination qui rayonne l’amour, et un amour qui illumine et réchauffe, tels devraient être les fruits d’un effort commun dans la méditation.

Publié dans Méditation

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article